Par Jacqueline de Bruycker
Aujourd’hui une des rares femmes au Québec à occuper le poste de conseillère syndicale à la CSD construction, Sylvie Dumais a réussi, à force de détermination, de persévérance et de courage, à faire son chemin au sein de cette industrie, au-delà des stéréotypes et des préjugés.
« Cela a été un travail de longue haleine, mais je n’ai jamais lâché. Je me suis lancée dans l’aventure avec une idée en tête : celle de toujours rester moi-même, de ne pas m’écraser sous le poids des commentaires négatifs, ni de jouer à la fanfaronne. C’est de cette façon que je suis parvenue à faire ma place dans la construction. Petit pas par petit pas, j’ai montré à tous que j’étais aussi capable qu’un homme d’effectuer le même travail que celui qu’il faisait », explique-t-elle.
Son parcours professionnel est riche d’expériences variées. Tour à tour, elle œuvrera comme manœuvre, salariée du Syndicat québécois de la construction au niveau de la Montérégie, formatrice pour l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur de la construction (ASP-Construction). Elle vivra également une expérience que peu de femmes partagent, celle de travailler à la Baie James.
En 2003, lors de la campagne d’adhésion syndicale, elle s’engage dans l’action, comme militante libérée pour la CSD Construction. « Je faisais du travail de secrétariat, je m’occupais de santé et sécurité du travail. C’était intéressant, mais mon plus grand désir, c’était d’être sur le terrain, de visiter les chantiers, de rencontrer les travailleurs, les travailleuses et d’échanger avec eux », poursuit Sylvie Dumais.
L’occasion se présente lorsqu’elle est appelée à remplacer un conseiller syndical malade. Au cours des cinq années qui suivront, ce sera le cas à plusieurs reprises. Elle participera également à l’ouverture du bureau de la CSD Construction à Saint-Jérôme. En 2008, elle est engagée comme conseillère syndicale, le rêve qu’elle caressait depuis si longtemps se réalise enfin.
Membre de l’équipe CSD
« J’ai été bien acceptée par mes confrères, je n’ai perçu aucune réticence de leur part, la plupart me connaissaient déjà, certains même depuis plusieurs années. Ils avaient vu la façon dont je travaillais. Bien sûr, cela a pris quelques mois pour qu’ils soient complètement à l’aise avec moi. Aujourd’hui, je me sens comme un membre à part entière de l’équipe », affirme-t-elle.
Au début, pour se familiariser avec le métier, elle a travaillé en tandem avec un autre conseiller, elle a appris des uns et des autres, mais elle a vite développé sa propre façon de fonctionner.
Le conseiller syndical, Jules Laguë, a déjà travaillé avec Sylvie Dumais. « Comme chacun de nous, elle fait vraiment partie de l’équipe CSD. On peut dire qu’elle a du tempérament, elle prend sa place, ne se laisse pas faire. Ça surprend encore une femme dans la construction, mais elle est bien accueillie que ce soit dans les écoles quand elle vient parler aux jeunes des métiers de l’industrie ou sur les chantiers. Je n’ai jamais entendu un travailleur émettre un commentaire négatif à son égard. »
Quant à Jean-Michel Houdet, un autre conseiller syndical, il souligne combien Sylvie Dumais est volontaire, mais toujours très respectueuse des autres. « Elle veut toujours comprendre, aller au fond des choses, elle ne donnejamais un avis sans avoir consulté, elle communique beaucoup aussi, ce qui lui a permis d’établir sa crédibilité. »
Comme conseillère syndicale, Sylvie Dumais est responsable des chantiers du centre-ville de Montréal dont celui du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), qui compte plus de 1 500 travailleurs. « Ça demande beaucoup d’énergie, car elle est constamment interpellée par les travailleurs, saisie de mille et une questions, mais elle se débouille très bien. Elle a de très bons contacts avec les travailleurs », fait-il remarquer.
Dans le cadre desnégociations en vue du renouvellement des conventions collectives de travail des 155 000 ouvriers de la construction du Québec, commencées ce printemps, Sylvie Dumais siège à la table de négociation du secteur résidentiel, une autre chasse gardée masculine qu’elle défonce.
Des valeurs mobilisantes
L’équipe CSD, les valeurs prônées par la centrale lui plaisent et la convainquent qu’elle a fait le bon choix. « J’ai gardé le souvenir de la rencontre du secteur Construction en 2003, et plus particulièrement du discours du président de la CSD, François Vaudreuil. C’était venu me chercher, ça m’avait profondément émue, j’en avais eu des frissons, c’était tellement différent de tout ce que j’avais jusqu’alors entendu. On sentait qu’il croyait profondément ce qu’il disait, qu’il était vraiment proche des membres. »
Ce sont ces mêmes valeurs de démocratie, d’équité et de justice qui l’ont poussée à s’engager dans un autre combat, celui de promouvoir la présence des femmes dans l’industrie de la construction et surtout leur véritable intégration sur les chantiers.
Elle s’est donc impliquée dans l’organisme Femmes regroupées en options non traditionnelles (FRONT), a milité au Centre d’intégration au marché de l’emploi (CIME). Elle participe également à différents événements qui traitent des problématiques de la main-d’œuvre féminine dans des secteurs traditionnellement masculins, dont tout récemment les États généraux Action travail des femmes.
« Sylvie Dumais est une femme de caractère, fonceuse, profondément intègre. Préoccupée par la situation des femmes qui choisissent de travailler dans l’industrie de la construction, elle se bat constamment pour améliorer leur accès à l’égalité en emploi, pour détruire les stéréotypes, les préjugés véhiculés à leur égard. Elle a une approche empathique avec les filles qu’elle rencontre et elle est très bien vue par elles. Le courant passe », mentionne Micheline Laplante, conseillère syndicale et coordonnatrice du comité de la condition féminine à la CSD.
Pour Sylvie Dumais, « il est urgent de passer à l’action si nous voulons dépasser les préjugés et faire en sorte que la présence des femmes dans l’industrie de la construction cesse enfin d’être marginale ».
Si l’industrie de la construction ne compte pas plus de femmes, la responsabilité en incombe d’abord, selon elle, aux conseillers en orientation. « Les métiers sont souvent dévalorisés par rapport aux professions. Les parents préfèrent voir leur fille fréquenter l’université que travailler sur un chantier. Pourtant l’industrie de la construction offre des avantages certains, mais encore faut-il que les filles en soient informées. »
Les réticences des employeurs à l’égard des femmes constituent le second obstacle à leur entrée dans l’industrie. La liste des préjugés qu’ils entretiennent à l’égard des femmes est longue, à commencer par leur manque de force physique, la baisse de leur engagement lorsqu’elles ont des enfants. Et, de surcroît, les mesures de conciliation travail-famille rebutent à plus d’un employeur.
« C’est un dossier qui me tient vraiment à cœur, je sais que ça demandera beaucoup de temps, beaucoup d’énergies, mais il ne faut pas baisser les bras, si j’ai réussi à faire ma place dans la construction, d’autres femmes le peuvent aussi », conclut-elle.