par Jacqueline de Bruycker
En 2010, le visage de l’immigrant permanent est celui d’une personne âgée de moins de 35 ans, principalement originaire du Maroc, de l’Algérie, de la France ou d’Haïti. Elle connaît et parle le français, affiche une scolarité égale ou supérieure au niveau collégial.
Établie principalement à Montréal, elle est qualifiée, est issue de l’immigration économique et a été sélectionnée par le Québec. Elle est aussi reconnue pour son apport dans le domaine de la recherche, des arts, ainsi que pour sa contribution à l’amélioration de l’innovation en entreprise par le développement d’échanges commerciaux, mais souvent avant d’en arriver là, elle connaît des périodes plus ou moins longues de chômage.
Ce portrait croqué sur le vif, c’est celui dressé à l’intention des délégués par Johanne Côté-Galarneau, directrice, Service-conseil en relations interculturelles, ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles. Un portrait qui cependant est appelé à constamment se modifier.
« Dans un contexte de mondialisation, le Québec se retrouve en compétition à l’échelle mondiale pour aller chercher les meilleurs immigrants dans le monde. Nous devons démontrer que nous sommes attrayants pour les nouveaux arrivants, parce que d’autres pays, voire d’autres provinces canadiennes, sont aussi confrontés aux mêmes problématiques de vieillissement démographique, de pénurie de main-d’œuvre et ils se montrent de plus en plus agressifs dans le recrutement des personnes immigrantes. Nous sommes donc très fragiles face à cette concurrence aussi bien internationale que nationale », constate-t-elle.
L’immigration : un effort culturel constant
La réalité de l’immigrant qui arrive au Québec, c’est d’être continuellement en situation d’adaptation vis-à-vis les conduites culturelles des Québécois. « La culture est présente dans toutes les activités humaines, nous la partageons avec un groupe de personnes, elle façonne notre identité collective, propose des modèles de comportement. Que ce soit ce que l’on mange, la façon dont on s’habille, dont on se comporte, ce que l’on écoute à la radio, etc., ce sont autant de comportements culturels auxquels on a fini par ne plus réfléchir parce qu’ils font partie de la vie quotidienne », explique Johanne Côté-Galarneau.
La culture québécoise est aussi faite de codes, que nous sommes les seuls à connaître et que si nous ne pensons pas à les communiquer aux personnes qui arrivent de l’étranger, elles ne peuvent pas les deviner. « Au Québec, poursuit-elle, il n’existe pas de classes sociales tranchées. Les conduites culturelles sont généralement teintées d’égalitarisme, de convivialité, de familiarité, d’entraide et s’inspirent du gros bon sens. Mais ce n’est pas le cas partout ailleurs dans le monde, ce qui peut provoquer des chocs, des incompréhensions interculturelles en milieu de travail. »
Recourant à de nombreux exemples puisés dans quelque trente années d’expérience, elle pointe une autre différence importante : si les Québécois sont très individualistes, les personnes qu’on reçoit en immigration proviennent souvent, quant à elles, de cultures collectivistes. « Nous séparons vie privée et vie au travail. Bien sûr, à l’heure du dîner, avec les collègues de travail, nous abordons souvent des sujets personnels, nous parlons de nos problèmes de santé, de notre vie de couple, des difficultés que nous vivons avec nos enfants, mais ça s’arrête là », souligne-t-elle.
Chez les immigrants, il n’y a souvent pas de ligne de démarcation entre vie privée et vie au travail, aussi « comprennent-ils difficilement pourquoi leurs collègues qui leur parlent de leurs problèmes personnels, qui évoquent leur intimité, ne les invitent-ils pas chez eux, à leur mariage ou au baptême de leurs enfants. Cette façon d’agir les déroute ».
La tâche ou la personne
Selon elle, les Québécois sont, au travail, davantage centrés sur la tâche à accomplir, alors que pour les immigrants, c’est la personne qui passe avant tout. Johanne Côté-Galarneau donne en exemple une chicane qui a éclaté entre des infirmières blanches et des infirmières noires. « Les infirmières blanches se plaignaient qu’elles faisaient le gros du travail, qu’elles voyaient plus de clients que leurs consœurs, elles considéraient que cela n’avait pas d’allure. Si on ne considérait que les chiffres, elles avaient raison, mais si on regardait de plus près ce qui se passait sur le terrain, on s’apercevait que les infirmières noires avaient l’habitude de demander aux patients comment ils allaient, elles prenaient le temps de parler avec eux, de les écouter, alors que les infirmières blanches, ce qui les préoccupaient davantage, c’était de rencontrer les quotas qu’on leur avait imposés. »
En conclusion, elle a insisté sur le fait que l’intégration des personnes en milieu de travail, c’est une responsabilité partagée, par le patron, le syndicat, l’ensemble des employés, mais aussi par les nouveaux arrivants. « En outre, si on procure à la personne immigrante des «clefs d’interprétation» pour réussir leur intégration, il est tout aussi important de les donner aux Québécois pour qu’ils réfléchissent à ce qu’ils sont. Il faut que nous fassions un effort pour détecter les besoins de l’autre, ses compétences, il faut être curieux. Ce qui nous semble positif ne l’est pas nécessairement pour l’autre, il faut être attentifs à ce que nous sommes, sensibles aux différences par rapport à l’autre, c’est la meilleure façon d’aller à sa rencontre. »