Chaque année, le 28 avril, nous commémorons les personnes blessées ou décédées à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle. C’est un jour de deuil, mais aussi un rappel cinglant de notre échec collectif à prévenir ces tragédies.
En 2023, encore 210 personnes ont perdu la vie dans des circonstances liées au travail, tandis que la CNESST a enregistré plus de 114 000 dossiers de lésions professionnelles. Ces chiffres alarmants révèlent un constat frappant : notre vision en prévention est déficiente et les moyens mis en place sont défaillants.
Pourquoi la tendance ne change-t-elle pas année après année? Peut-être parce que malgré tout ce qui se dit pour se donner bonne conscience, il n’existe pas socialement et dans nos milieux de travail une véritable culture de prévention des lésions professionnelles. Nous avons laissé s’installer une conception que ce qui a été mis en place n’est en fait qu’un simple régime d’assurance. En effet, la CNESST s’est laissé emporter par une logique assurantielle et ne suit plus l’objectif fondamental qui a mené à sa création à savoir : prévenir à la source les lésions professionnelles. Une compagnie d’assurance, ça sert à dédommager : signer un chèque, lorsqu’un accident survient. Prévenir a alors pour fin la réduction de la prime d’assurance. La gestion du coût de la prime devient plus importante que de réduire réellement les risques de lésions à la source.
Recevoir un chèque pour défroisser de la tôle sur une voiture ou pour qu’on puisse continuer de bénéficier d’un bien perdu, ça va. Par contre, lorsqu’il est question de vie humaine, un chèque ne pourra jamais remplacer un handicap permanent ou pire encore, compenser un décès. L’indemnisation ne devrait pas être la solution de la facilité et le moyen de se donner bonne conscience, comme elle l’est actuellement. Elle devrait être un moyen de dernier recours lorsque tous les efforts mis en prévention n’auront malheureusement pas suffi.
En 2022, la prévention représentait 8,7 % des dépenses globales de la CNESST, comparativement à 78,6 % en réparation : un déséquilibre qui dénote une priorisation inadéquate. La prévention doit devenir le cœur de l’action de la CNESST. En mai dernier, la Commission a annoncé une réduction du taux moyen de cotisation au Fonds de la santé et de la sécurité du travail en raison de la bonne situation financière de celui-ci. Il aurait été plus utile de rééquilibrer les choses en finançant davantage la prévention.
Bien qu’il soit encore tôt pour mesurer l’impact réel de la Loi 27, Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail (LMRSST), nous avons de sérieux doutes que la tendance ira en s’améliorant, tant et aussi longtemps que nous ne changerons pas fondamentalement notre conception et notre approche en matière de prévention. La CNESST devrait financer davantage la prévention, que ce soit par plus de formation des travailleuses et travailleurs, plus d’intervention pour que les employeurs respectent leurs obligations et plus de gens sur le terrain. La CNESST doit aussi mieux appuyer les efforts des milieux à implanter les nouveaux mécanismes de prévention et s’assurer que les travailleuses et les travailleurs participent pleinement aux efforts de prévention.
C’est inconcevable qu’autant de travailleuses et travailleurs perdent la vie ou voient leur qualité de vie handicapée en raison du travail. Comment accepter en 2024, dans un Québec qui fait des contorsions de toutes sortes afin de trouver de la main-d’œuvre, que des dizaines de milliers de travailleuses et travailleurs manquent à l’appel à cause de lésions professionnelles ? Et si nous faisions de la prévention une réelle priorité dans nos actions et que l’on commençait à changer le 28 avril 2025 dès maintenant ?