Voici la lettre originale acheminée à la Première ministre le 22 juillet, une version a aussi été publiée dans la section Idées du quotidien Le Devoir, Il faut une révision démocratique de l’accord Canada-Europe. La CSD est membre du RQIC et Normand Pépin, responsable de la recherche à la CSD y est son représentant.
Madame Pauline Marois,
Première ministre du Québec
Édifice Honoré-Mercier,
3e étage 835, boul. René-Lévesque Est
Québec (Québec) G1A 1B4
Objet : Accord de libre-échange Canada-UE (AÉCG)
Depuis le début des discussions entre le Canada et l’UE, nous avons souligné que le processus de négociations comportait de sérieux vices. Une entente de confidentialité signée par les provinces et les territoires comme condition de leur participation aux tables de négociations de l’AÉCG ont rendu pratiquement impossible toute consultation publique qui soit digne de ce nom. Le processus parlementaire fédéral de révision et d’approbation des accords commerciaux et d’investissements est, quant à lui, une farce. Il n’existe aucune marge de manœuvre qui permette de réévaluer à tête reposée un aspect ou l’autre d’un traité, qui est contraignant dès sa ratification. Le gouvernement fédéral actuel a virtuellement rejeté tous les amendements que les partis d’opposition ont pu proposer dans le passé sur chaque accord commercial qui a été soumis à un processus de révision au Parlement.
Les propos rapportés par certains médias suggèrent que le gouvernement fédéral serait sur le point de conclure les négociations de l’AÉCG. Nous comprenons que si cela se concrétisait, les provinces et territoires seraient appelés à donner leur assentiment à l’accord ou du moins aux dispositions qui affectent leurs champs de compétence. Compte tenu de l’impact important et permanent qu’aura l’AÉCG sur la souveraineté constitutionnelle et sur la marge de manœuvre des gouvernements des provinces et territoires pour mettre en œuvre des politiques publiques, nous croyons profondément que pour qu’une province donne son assentiment à l’accord avant qu’il ne puisse être signé, le processus doit être aussi ouvert et démocratique que possible.
Il existe au niveau provincial des précédents de participation publique citoyenne concernant les traités commerciaux. En 1998, le gouvernement de Colombie-Britannique a créé et mandaté un comité parlementaire pour étudier l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) et en évaluer les principaux enjeux en écoutant les points de vue d’une diversité de spécialistes pendant huit jours d’audiences. Depuis l’adoption en 2002 de la loi 52, l’Assemblée nationale du Québec a l’obligation de débattre et ratifier tous les accords internationaux importants que négocie le Canada avant que le Québec ne puisse donner son assentiment. Ce processus gagnerait d’ailleurs beaucoup à inclure aussi la participation directe de la société civile et des législateurs, par exemple par le biais d’audiences publiques. C’est justement ce genre d’audiences publiques que le gouvernement de la Saskatchewan a jugé bon de mettre sur pied en 2007 afin de soupeser les avantages et désavantages de se joindre à l’Alberta et la Colombie-Britannique au sein de l’Accord sur le commerce, l’investissement et la mobilité de la main-d’œuvre (ACIMMO) aujourd’hui rebaptisé le «New West Partnership Trade Agreement». Il y aussi des expériences intéressantes au niveau international: dans plusieurs États américains, la politique commerciale fédérale est révisée régulièrement par des Commissions citoyennes sur la politique commerciale; en octobre 2007, le gouvernement du Costa Rica a tenu un référendum national pour recueillir le point de vue des citoyens et citoyennes sur l’Accord de libre-échange République Dominicaine-Amérique centrale (DR-CAFTA).
S’il existe une différence entre l’AÉCG et ces autres accords de commerce et d’investissements, c’est sûrement le fait que l’accord Canada-UE aura un impact encore plus grand sur la souveraineté provinciale ainsi que sur la marge de manœuvre politique gouvernementale à tous les niveaux, incluant les municipalités. Il est difficile d’imaginer que l’AÉCG, dont le processus de négociations s’est largement déroulé dans le secret derrière des portes closes, puisse être ratifié de façon similaire en refusant au public le droit légitimement de s’exprimer et d’être entendu dans des conditions acceptables. Il serait irresponsable de se fier uniquement au processus parlementaire de ratification à Ottawa, car les lacunes sont évidentes et ne permettent pas d’évaluer de façon adéquate les impacts spécifiques de l’AÉCG sur les provinces; d’autant que d’un point de vue démocratique, comme mentionné plus haut, le processus de révision fédéral est insignifiant.
En conclusion, nous demandons à vos gouvernements respectifs, ainsi qu’au Conseil de la Fédération, de proposer et piloter l’idée d’une révision démocratique de l’AÉCG après la conclusion des négociations et avant les formalités de signature de l’accord. Le Réseau pour le commerce juste, le RQIC et nos organisations membres respectives vous offrent toute leur collaboration en vue de préparer un tel processus.
En espérant recevoir prochainement vos réactions à notre proposition, veuillez accepter, Madame la Première ministre, l’expression de nos salutations distinguées.
Pierre-Yves SerinetRéseau québécois sur l’intégration continentaleSite: rqic.alternatives.ca | Stuart TrewRéseau pour un commerce justeSite: tradejustice.ca |