Lettre ouverte
Monsieur Galen G. Weston et toutes les personnes concernées,
Aujourd’hui, le 7 octobre 2022, marque la journée mondiale pour le travail décent dont le thème cette année est la justice salariale, nous aimerions vous parler de Jacinthe qui, avec ses confrères et consœurs de travail, est au cœur d’un conflit de travail au Maxi de Lac-Mégantic dont l’enjeu est justement la justice salariale.
Qui est Jacinthe ?
Jacinthe est une femme de 65 ans, en couple, qui a élevé deux enfants. Elle travaille pour Maxi (autrefois Provigo) depuis 32 ans. Elle est la présidente de son Syndicat depuis 2015. Ses membres ont rejeté une offre finale de l’employeur qui en gros prévoyait des augmentations de salaire de l’ordre de 2 % à 2,25 % de salaire par année pour une durée de 7 ans. Au moment de déclencher la grève le 21 juillet dernier, la convention collective octroyait à Jacinthe un taux de salaire de 16,31 $ de l’heure et une prime de 0,80 $ l’heure.
Sachez que Jacinthe, est l’une des salariées les mieux payées de son groupe étant donné que certains de ses collègues ayant moins d’ancienneté, surtout des femmes, ne sont pas encore parvenus au maximum d’une échelle salariale qui compte de trop nombreux échelons. Les salaires de ses collègues se situent entre 14,48 $ et 16,31 $ de l’heure. Jacinthe en est à son 2e conflit de travail avec Maxi. Les syndiqués, avec Jacinthe en tête, sont bien décidés à mener la bataille jusqu’au bout afin de mettre fin à ce qu’ils considèrent comme une injustice salariale.
Pourquoi Jacinthe a-t-elle ce sentiment d’être l’objet d’une injustice salariale ?
D’abord, parce que comme tous les salariés œuvrant dans l’industrie de l’alimentation ils sont assujettis à des conditions de travail parmi les plus basses au Québec. Pourtant on les qualifiait de travailleurs essentiels durant la pandémie.
Ensuite, parce que Maxi enregistre des profits records. En effet, pour le premier trimestre de 2022, Loblaws, qui possède Maxi, annonçait une hausse de ses profits de 40 % pour atteindre 437 millions de dollars. Monsieur Galen G. Weston, vous qui êtes le grand patron, votre salaire a augmenté de 2 millions de dollars en 2021 pour atteindre une rémunération globale de 5,4 millions de dollars ce qui constitue une augmentation d’environ 60 %. On est bien loin des 2 % et des 2,25 % par année proposée par l’employeur de Jacinthe aux salariés du Maxi de Lac-Mégantic.
Ce sentiment d’injustice salariale est aussi alimenté par l’inflation qui touche l’ensemble de la société. D’une part Jacinthe voit son employeur, Maxi, augmenter ses prix, parfois bien au-delà de l’inflation qui au Québec, ces derniers mois, se situaient entre 7 % et 8 % et d’autre part elle constate que son employeur n’a même pas la décence de faire une offre salariale qui se rapproche de ces niveaux d’inflations.
Finalement, la disparité salariale qui existe au sein des différents Maxi au Québec. Certes, certains Maxi offrent des échelles salariales inférieures à celle à laquelle est assujettie Jacinthe, mais d’autres comme à Sainte-Geneviève à Chicoutimi offrent une échelle de salaire atteignant au 29 mai 2022 19,37 $ de l’heure. C’est donc dire que si Jacinthe avait passé sa vie à travailler au Maxi de Chicoutimi plutôt qu’à celui de Lac-Mégantic, elle aurait probablement un salaire plus élevé que le sien de 3 $ de l’heure. Quand Jacinthe questionne son employeur à la table de négociations sur cet état de fait, elle n’obtient jamais de réponse satisfaisante. Rien pour apaiser son sentiment d’injustice.
Quelles sont les causes de cette injustice salariale et les pistes de solutions ?
Quand Jacinthe se demande pourquoi est-ce comme ça, la première réponse qui lui vient est la cupidité de son entreprise. C’est vrai aussi ailleurs dans d’autres entreprises, mais dans la sienne c’est criant de vérité. Regardez les profits réalisés par Maxi et comment l’entreprise hausse ses prix en ces temps d’inflations. Regardez comment elle paye ses employés et ce qu’elle leur offre comme conditions de travail pour les années à venir. Quand Jacinthe regarde ça, elle n’a pas d’autres réponses, son employeur est cupide. Cette entreprise pratique le tout pour elle et le moins possible pour ses employés. Suffirait d’accepter des profits moindres, Monsieur Weston, pour mieux payerles employés se dit Jacinthe. Cela impliquerait que son entreprise pratique un capitalisme décent. Le problème ne se situe pas que chez Maxi et la solution réside à des niveaux et à des volontés qui sont bien loin de Jacynthe, du Maxi de Lac-Mégantic et de son conflit de travail.
Plus près de son conflit à elle, Jacinthe se dit que peut être que les organisations syndicales impliquées dans le secteur de l’alimentation y incluant sa centrale, pourraient s’y prendre autrement. Notamment, en se concertant toutes bannières confondues, en établissant des normes salariales nationales et homogènes voir en formant des coalitions. Jacinthe ne s’explique pas pourquoi dans le contexte actuel, des conventions collectives qui sont signées dans les Maxi au Québec avec des augmentations de 2 % et 2,25 % par année sur 6 ou 7 ans et avec autant de disparités salariales entre les différents Maxi.
Jacinthe se demande aussi que pourrait faire son gouvernement pour mettre fin à l’injustice salariale dont elle et tous les travailleurs et travailleuses de son secteur d’activité sont victimes. Un décret de convention collective peut-être ?
En conclusion, nul doute dans l’esprit de Jacinthe et, nous en sommes convaincus, dans l’esprit de la plupart des gens qui prendront le temps de lire cette lettre que Jacinthe et ses pairs du Maxi de Lac-Mégantic comptent parmi les nombreuses victimes de l’injustice salariale au Québec. C’est pourquoi en cette journée mondiale pour le travail décent nous vous demandons à vous, Monsieur Weston, de revoir les mandats que vous donnez actuellement dans le cadre du renouvellement de vos conventions collectives au Québec. Nous vous demandons de pratiquer un capitalisme décent. Au gouvernement du Québec nous leur demandons de réfléchir à ce qu’il pourrait faire pour adresser cette situation et finalement aux organisations syndicales impliquées telles que la CSD, la CSN ou les TUAC (FTQ) nous leur demandons de revoir leurs approches et surtout de ne plus accepter des renouveler des conventions collectives en acceptant des conventions de 6 ou 7 ans avec des augmentations de 2 à 2,25 % par année, cela ne fait aucun sens dans le contexte actuel.
En espérant que cette lettre aura un effet positif quelconque sur le Maxi de Lac-Mégantic et sur les conditions de travail de tous les salariés du secteur de l’alimentation. Sinon, nous en sommes à nous demander si pour les salariés du Maxi de Lac-Mégantic et de la population desservie par ce dernier qui souffre financièrement de la fermeture temporaire de l’établissement, s’il n’était pas préférable que Maxi ferme son magasin à Mégantic afin de laisser la place à un nouveau joueur qui saura traiter ses employés avec décence et qui saura donner un service abordable dans l’offre alimentaire à Lac-Mégantic. Il importe de rappeler que ce qui attire la clientèle dans les marchés d’alimentation, c’est l’accueil, le dévouement et les services rendus par des milliers de femmes et d’hommes qui se lèvent tous les matins pour servir la population.
Bernard Cournoyer, conseiller syndical à la CSD
Sylvain Lizotte, conseiller syndical à la CSD